Balade dans la Réserve Naturelle du Delta de la Sauer à Munchhausen dans le Nord de l' Alsace

Rivières qui se perdent puis se retrouvent.

Beauté d' un pays d' eau et sortilèges de la forêt rhénane.

Les pieds mouillés, la tête émerveillée, une dérive de 3heures.

L' île du Grosswoerth

Ciel gris perle. Quelques trouées bleu pâle. Un nuage noir, juste au-dessus de Munchhausen, laisse tomber ce qu'il faut de pluie pour transmuer le paysage en scène de conte scintillante et pailletée. Un arc-en-ciel achève la représentation mouillée: il a un pied dans le lit de la Sauer, l' autre dans le Rhin, au-delà de la ligne sombre des arbres.Une bande de cygnes blancs vogue à la façon des naïades sur la surface liquide d' argent vert. Et je n' en crois pas mes yeux: sur la rive droite, dans la vase et les herbes, au pied du pont, deux cigognes blanches dégustent la grenouille ou l' escargot.

Les toits rouges de MunchhausenAvec le clocher pointu de la petite église de Munchhausen, les toits rouges des maisons et le parfum de la plaine, je contemple l' Alsace mythique. Je ne résiste pas, bien sûr. L'eau, les feuilles, le vent, les petites âmes zoologiques qui enchantent ce monde m' appellent. Je plonge dans la beauté de la forêt rhénane. Je ne suis pas sûr d' en revenir indemne. Qui se passionne pour ce pays d' eau et de feuilles en subit forcément les sortilèges.

Le petit pont de la SauerDu petit pont sur la Sauer à la station ornithologique, 1 heure 15.

Je désire d' abord faire le tour de l'île de "Grosswoerth" en passant par le nord, c' est à dire en suivant l' un des bras de la Sauer, sur le chemin de terre qui longe la digue. Je laisse la piste cyclable, où roule un cycliste dégingandé en tenue noir et blanc, coiffé d' un bonnet rouge à pointe; bref qui ressemble à une cigogne. Vers le centre de l' île, les prairies ont été fauchées: l' herbe scintille. Des colchiques d' automne jouent les cornets d' étoiles rose-mauve à coeur jaune. Un héron cendré se pose. Des corneilles, des pies décollent. Un busard - cendré ou des roseaux? difficile à dire, de loin- plane en rond. Les dernières hirondelles - je goûte cette balade au début du moi de septembre - rasent le sol, montent et piquent, le bec béant sur le moucheron.

J' escalade la haute digue. Le talus se hérisse d' une confusion de graminées, de laîches, de ronces, de composées aux allures de verges d' or, de camomilles ou de séneçons. Je n'omets pas les morelles douces-amères aux fleurs violettes à bec jaune, et aux fruits pareils à des micro-tomates oblongues et toxiques. Des tanaisies ont l'air de barbes de boucs perlées de soufre infernal. Au-dessus de l' étage herbacé, les buissons forment un fouillis que peuplent papillons et passereaux. L' aubépine et l' églantier y voisinent avec le bonnet d' évêque - fruits en mitres violet pâle - et la viorne obier, dite " boule des neiges ", elle aussi en fruit - bouquets de baies rouge sang. Les arbres sont gigantesques: chênes pédonculés, peupliers, saules, bouleaux, charmes... Une péniche sur le RhinLa proximité du Rhin, fleuve majeure d' Europe, n' est peut-être pas étrangère à cette mégalomanie végétale.

Je descend du côté de la rivière: vase odorante, myriophylles et nénuphars. Je patauge dans la galoue fertile. Des bandes de canards décollent: colverts, fuligules milouins, sarcelles, fuligules morillons, etc. A vingt mètres de moi, une troupe de foulques macroules, au plumage de charbon à reflets d' émeraude et au bec à caroncule blanche, se dispersent dans les roseaux et les feuilles d' iris pseudacores. Je songe à ces fleurs, qu' illuminent en mai-juin les eaux douces de leurs flammes jaune clair. Je me promets que je reviendrai aussi admirer au printemps, les corolles violet pâle du rare iris de Sibérie, dont on dit que les ours là-bas aiment les racines.

Je reviens à la piste entre deux chandelles végétales rose-mauve - l' une de cirse des marais, l' autre d' épiaire stachys. Le héron cendré décolle sur le pré fauché. Je sais, je dérange. Je fais mes plus plates excuses à l' échassier.

Je file vers le sud-ouest. Chaque fois qu' une branche de chemin, sur la droite, semble mener la rivière, je m' y engage. Je m' enfonce parmi les laiches, les roseaux phragmites et les buissons confus. Je m' ébroue, bénit par les saules dégoulinants de pluie. J' ai l' air d' un canard ruisselant. Je dérive à travers des champs de menthe dont le parfum m' enivre. héron cendré

Je surprends un autre héron cendré qui guette le vairon ou la rainette debout sur la patte de gauche, dans un bras d' eau teinté de jade et de grenat. L' oiseau me dévisage et décolle à contrecoeur. Je. m' accroupis dans la jungle aquatique. Des grenouilles vertes sautent de tous côtés - quelques lourds adultes et un feu d' artifice de jeunes de l' année. Une rainette se balance à l' envers d' une feuille d' iris. J' essais de localiser, dans la flaque où je patauge à mi-souliers, le crapaud sonneur à ventre jaune: cet amphibien exhibe un abdomen marbré de jais et de jaune paille.

Je retrouve la route de terre et la piste cyclable. Je dérive vers le chenal le plus proche de la Sauer.Ce delta par lequel une rivière vosgienne se jette dans le Rhin est le dernier dans son genre. Les autres ont été canalisés, rectifiés, recalibrés. Voici à droite de la piste, la cabane de planches peintes en brun, la station ornithologique de Munchhausen. Plus de cent mille oiseaux d' eau passent l' hiver sur ces bassins et ces chenaux. Tandis que des centaines de milliers s' y succèdent aux migrations de printemps et d' automne.

De la station ornithologique au petit pont de la Sauer, 1 heure 45

Je laisse, à droite, le sentier qui file vers Seltz en longeant une gravière et le bois d' "Huberwiesenkoepfel ". Je touche le petit pont situé avant l' énorme silo du port de Seltz. Je l' emprunte vers l' est. Je me dirige vers le Rhin. Il m' arrive, je dois contempler sa puissance. Je repère, sur la piste de terre, dans la boue rousse, les traces d'un chevreuil passé par ici il y a peu de temps, après l' ondée.

Je grimpe sur la digue. Et me fige. Le fleuve vibre à mes pieds. Il chuinte. Souffle. Ahane. Se plaint. Murmure ou ronronne en do majeur. L' eau avance à une incroyable vitesse, en emportant toutes sortes de débris. J' en détaille la surface striée de traînées d' écume. Les jades et les turquoises s' y mêlent, avec des reflets d' or, de plomb et de grenat où se concentrent les mystères du troisième cours d' eau d' Europe, après la Volga et le Danube. J' accompagne le mouvement du fleuve vers l' aval, en cheminant sur la digue. Une péniche corne et me double.

La saulaie Je reviens par la piste de gauche, vers la route de terre qui longe la berge orientale de la gravière. Je remonte vers l' île de "Grosswoerth " . Je ne peux me retenir      d 'embouquer les pistes de terre adjacentes qui filent se perdre dans la profondeur du bois de Munchhausen. Ici , entre chênes, frêles, saules, charmes, et peupliers gigantesques, je me fais une idée de la splendeur de la forêt rhénane des origines. Le sous-bois se hérisse de buissons et de plantes de cent sortes. L' ail des ours court dans les clairières. Les mousses, les fougères et les laîches donnent une illusion de sylve du temps des dinausores.

l' impatiente de l' Himalaya Une plante me sidère, une espèce herbacée. Plus haute que moi. des fleurs d' un rose sensuel. Je frôle de l' index ces corolles en sabot de fée pointu, délicat, un peu bosselé... Cette espèce là, je la connais. Elle n' est pas originaire d' Europe mais d' Asie. Elle a été plantée dans les jardins, puis a repris sa liberté. C' est l' impatiente de l' Himalaya. Sous ses aspects fragiles, avec ses fleurs pendues à de fins filets et ses tiges dégingandées, elle semble subir tous les malheurs du monde. Ne vous y fiez pas: c' est une conquérante. Elle remplace les espèces indigènes. Une superbe envahisseuse. Elle appartient au même clan que la jacinthe d' eau tropicale: belles pour imposer leur dictature. Je leur pardonne tout.

Je foule la piste cyclable. Reste à revenir à Munchhausen. Je me laisse embarquer vers la droite dans des dérives de pur plaisir au bord d' un large bras d' eau. D' abord, il semble qu' un sentier serpente sous les saules têtards aux courts troncs ridés et boursouflés. Puis le layon s' évanouit. Je songe que les castors d' Europe, déjà présents dans le Rhin en amont d' ici, ne peuvent pas ne pas coloniser un biotope aussi favorable. Le pays est tentant. Je relève les empreintes du ragondin - ou du rat musqué? Le renard, la martre, la fouine et la belette vivent ici, comme le chevreuil et le sanglier. Plus rare, l' élégant et parfumé putois. Un pouillot véloce s' égosille sur une branche de cornouiller. Des grenouilles bondisent devant mes pieds. Je vais au hasard de la vase. Mes pieds s' enfoncent dans des flaques tièdes et bulleuses où des nénuphars jaunes proposent aux libellules et aux rainettes le perchoir de leurs feuilles en coeur vert sombre et de leurs tiges florifères coiffées d' une coupe d' or au creux de laquelle le buisson d' étamines enserre un pistil en pomme d' arrosoir.

Lorsque je débouche, les souliers crottés mais le coeur satisfait, près du petit pont de la Sauer, en vue des toits rouges et du clocher pointu de Munchhausen, les deux cigognes sont là. Debout dans la gadoue. Picorant le mollusque, la grenouille verte ou le triton ponctué. Philosophiques et poétiques à la fois, c' est à dire parées des deux vertus candinales de l' Alsace et de l' humanité réunies. Drôles d'oiseaux.         

Note saisonnière: Qui ne tient pas à se mouiller les pieds aura du mal à boucler la balade. Jumelles de rigueurs pour voir les oiseaux. Automne et printemps voient passer des légions de migrateurs: loriot et cigogne blanche, rousserolle et pouillot fins, coucou et rossignol. L' automne, les fruits rouges sont le régal de nombre d'espèces à ailes ou à pattes. L' hiver, la neige et la glace enchantent les bras d' eau où abondent les canards colvert, sarcelle d' hiver, morillon, milouin, chipeau. Le héron cendré et quelques autres assurent une présence annuelle. Printemps et étés sont l' occasion d' admirer la floraison d' espèces remarquables, l' iris pseudacore jaune et l' iris de Sibérie violet mauve. Le glaïeul sauvage et l' orchis des marais.

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